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La dupe fraudeuse

 

Dépôt de plainte à l’encontre de Gauthier Royal

 

Confronté depuis maintenant plusieurs années aux travaux de l’artiste Gauthier Royal, j’adresse ce courrier aux bureaux de la justice afin de porter plainte et faire état de l’offense dont je suis la victime. J’ai pleine confiance en nos institutions et remets l’avenir de cette affaire dans les mains fermes du Droit qui sauront me protéger des artistes trompeurs qui sévissent dans nos villes.

Ayant essuyé nombre d’assauts sans le signaler aux autorités que vous représentez, je choisis finalement de me lever aujourd’hui, résolu à lever le voile sur la sinistre conspiration dont Mr. Royal tire les fils, visiblement soutenu par d’interlopes organisations dites « artistiques ».

Sans me perdre en préambules j’en viens aux faits cruels. Placé devant la nécessité de les exposer tels que je les ai vécus, je ne pourrai faire l’économie de lier parfois la froide description des œuvres (dans toute leur outrageante réalité) avec l’expérience subjective de celles-ci, sans quoi les juges ne sauraient prendre mesure de l’injure subie.

Que mes mots naissent du serment de vérité impliqué par la présente.

Durant la fin d’après-midi d’un mois quelconque de l’année 2017, je me rends dans un magasin de Paris semblable à un autre. Au rayon légumes une cagette banale remplie jusqu’aux bords de carottes à peu près attrayantes. J’en saisis une poignée et vais payer mes achats à la caisse, en règle. Seulement voilà, une fois parvenu au logis, j’inspectais la marchandise qui me paru tactilement singulière à la sortie du sac. Ces « carottes » me semblèrent molles, humides et surtout écorchées. Je pressentais qu’elles étaient de patate douce sans peau. Ce fut rapidement une certitude : elles étaient taillées, j’étais roulé. Un coup auquel participa activement Mr. Royal. Peut-on décemment nommer cette farce infamante une « œuvre » ? Que Justice tranche !

Soyez persuadé que je souhaiterais mettre ici un point final au réquisitoire mais vous ne pourriez alors vous figurer le danger public que représente Mr. Royal. J’accuse celui-ci de répandre sans borne ses mensonges, c’est-à-dire en faisant fi des frontières qui séparent ordinairement les lieux d’art de ceux de bon sens.

Mr. Royal se plaît à diffuser des affiches proclamant l’arrivée prochaine de la célébrité Yannick Noah à une date, heure et lieu précis. Étant moi-même amateur de tennis je me suis rendu à l’un des ces événements. Loin de soupçonner qui se cachait derrière… Arrivant à l’heure indiqué du rendez-vous, jubilant de rencontrer enfin une idole, je vois venir à ma rencontre le visage mi-amusé, mi-contrit de Mr. Royal. Sa bouche articule des paroles qu’il croit sans doute aimables : « Bonjour monsieur, voyez-vous Yannick Noah ne viendra pas aujourd’hui. Vous comprenez, il s’agit d’une œuvre d’art. » Merveilleuse rhétorique Mr. Royal, vous substituez une présence à une absence. Et quelle présence ! Cette « œuvre » dont je ne vois pas le nez et pour laquelle vous m’apprenez à l’instant que je suis venu de loin, tremblant d’excitation à l’idée d’apercevoir le tennisman promis…

Il est aisé de reconnaître déjà avec la clarté caractéristique de l’évidence : Mr. Royal est fait de glaise fallacieuse et ses idées d’illusions nuisent. Malgré cela, certains nigauds le défendant subsistent. Permettez-moi de citer l’un des textes captieux qui servent d’égide au mystificateur dont il est question. Voilà ce que l’on trouve de nos jours dans d’équivoques magazines :

 

« Gauthier Royal est passé maître en son domaine, celui de la tromperie pleine, c’est-à-dire de la tromperie à l’état de repos, entièrement réalisée. Tromper quelqu’un c’est lui dissimuler quelque chose. Tromper quelque chose c’est révéler le secret qu’elle détient. Or, si la chose dissimulée est dans le même mouvement soustraite et dévoilée comme soustraite, nous obtenons une tromperie pleine, parvenue à sa forme achevée dans laquelle elle s’est elle-même trompée, laissant la vérité apparaître. »

 

Le feu de la ruse artificielle saute aux yeux et ce sont les nuées fumeuses de la falsification que je discerne. Avant de finir en citant un autre extrait de ce texte (nous n’en supporterions pas davantage), laissez-moi évoquer quelques autres des inénarrables « travaux » de Mr. Royal.

Au cours de l’été 2019, alors que je me trouvais en vacances à Montréal, j’aperçus au loin quelques amas fragiles de brume singulière défilant à un rythme étonnant. Je subodorais quelque événement réclamant son explicitation. N’étant pas des plus balourds en ce qui concerne la cryptologie, je passais de longues heures les yeux plissés, les mains crispées sur mon carnet de notes cherchant à interpréter ces énigmatiques signaux charriés par le vent d’Est. Ma cervelle bouillante s’y brisait et j’abandonnais bientôt ma tentative d’interprétation malgré la certitude acquise qu’il s’agissait là de nuages non aléatoires et ourdis par une conscience humaine. Mon obsession, nourrie d’insatisfaction, grandissait. Grand fut mon dépit lorsque j’apprenais bien plus tard l’origine de ces bouffées insondables : Mr. Royal, accompagné pour l’occasion de trois de ses complices, à savoir Mme. Branco, Mme. Hara et Mr. Louchart. Le sens de ces fumées demeure pour l’heure inconnu. Sont-elles mêmes porteuses d’un message ? Rien n’est moins certain. Il y a fort à parier que Mr. Royal est mufle trop ignare pour connaître le morse.

Les motifs de doléances abondent. Si je ne dresse pas la liste complète des piperies commises par le coquin qui nous occupe c’est par respect pour la raison universelle. Faites qu’il trouve en geôle remède à son mal celui qui monte des expositions dans les salles de pauses de nos musées publics, au centre Pompidou ou au Palais de Tokyo. Manigances de grand prêtre corrompu réjoui de ses sauteries dans le Saint du Saints. Cela ne mérite même pas de commentaires. Peut-il y avoir témoignage à charge plus éloquent que le fait rapporté tel quel ?

L’artiste Gauthier Royal a caché du miel dans du miel. Il y avait un grand pot transparent rempli de miel. L’avanie est illimitée. J’entends les ours se retourner au fond de leurs cavernes.

Que vos esprits ne perdent pas de vue la menace que l’accusé incarne. Il compte parmi ses rangs de tenaces soutiens. Ainsi qu’annoncé plus haut, je conclurai ma plainte en évoquant un deuxième passage du texte à visée apologétique déjà cité. Comme vous le constaterez vous-même, il est difficile de mêler en une formule autant de clairvoyance et de cécité perverse :

 

« L’Erreur est celui qui fait errer, c’est Gauthier, le chef de guerre d’une troupe perdu, égarée par le son des trompes qu’il fait sonner, résonnant dans la plaine Tromperie. »

Aristide Gripon

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